Moments d'Histoire

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Le traité de Troyes

En mai 1420, Henri V d’Angleterre et le roi de France Charles VI signent le traité de Troyes, d’une importance majeure dans l’histoire de France. Ce « honteux traité » entérine la toute-puissance anglaise dans le cadre de la guerre de Cent Ans et met grandement en péril la survie du royaume de France, qui, sans doute, aurait pu disparaître… Si ce traité est une catastrophe pour le royaume, il est également un moment charnière dans l’histoire de France. Le traité de Troyes a alimenté les pires craintes, mais a aussi nourri les plus grands espoirs, ceux de voir les Français « bouter les Anglais hors du royaume » comme le dira un peu plus tard une certaine Jeanne d’Arc. Revenons alors sur cet épisode très important de l’histoire de France : le traité de Troyes.

Charles VI
Charles VI de France

Parlons avant tout du contexte dans lequel est signé le traité de Troyes. Au début du XVe siècle, le royaume de France est dans une position bien délicate face à son homologue anglais, emmené par le puissant Henri IV d’Angleterre, père du futur Henri V. Henri IV est issu de la branche cadette des Plantagenêts, les Lancastre. Nous sommes alors en pleine guerre de Cent Ans et l’Angleterre s’est rendue maîtresse d’une importante partie du royaume de France. Les reconquêtes amorcées sous Charles V ont laissé place à une instabilité chronique exacerbée par un roi pris de folie, Charles VI, incapable de régner. Cependant, il faut bien avoir en tête que la première crise de folie du roi intervient en 1392, soit 12 ans après sa montée sur le trône. Si Charles VI mérite bien son sobriquet de « fol », son règne ne peut en être résumé à cela. Bref, au début des années 1400, le royaume est bel et bien gouverné par un roi instable. De plus, en 1407, s’ouvre une guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, deux partis qui se disputaient le pouvoir au Conseil du roi. Problèmes financiers, guerre civile, roi incapable de régner, morale en baisse : le royaume de France est sans doute au plus bas. Surtout, en 1413, Henri IV meurt et laisse le trône à son fils, Henri V, ambitieux et impétueux, bien décidé à faire plier le royaume de France.

En août 1415, le roi anglais et ses 10 000 hommes environ débarquent en Normandie, à Harfleur. Après plus d’un moins de siège, la ville tombe en septembre 1415. Henri V poursuit sa lancée sur les côtes normandes, en direction du nord, sans doute avec le projet de rejoindre Calais, déjà aux mains des Anglais. Une armée française menée par le connétable Charles d’Albret le talonne sans pour autant ouvrir les hostilités. Finalement, après quelques semaines de course-poursuite, les troupes royales décident de barrer la route aux hommes de Henri V à Azincourt fin octobre 1415. Le 25, la bataille est engagée. Les Français subissent une violente défaite, sans n’avoir jamais pu dominer. La défaite entérine les difficultés françaises et marque le temps de la suprématie anglaise, chapeautée par le puissant monarque Henri V d’Angleterre.

Henry V d'Angleterre
Henri V d'Angleterre

Après la bataille, le royaume de France continue sa descente aux enfers. L’empereur germanique signe un traité à Canterbury en août 1416 avec Henri V, isolant toujours plus le royaume de Charles VI. En parallèle, le duc de Bourgogne Jean Sans Peur mène un jeu politique trouble. Il cherche une certaine forme de conciliation avec Henri V mais aspire fondamentalement à reprendre Paris et, de fait, les rênes du royaume de France. Entre 1417 et 1419, le roi de France se montre impuissant face à des princes ambitieux et avides de pouvoir. Henri V mène une vaste conquête de la Normandie, s’en rendant quasiment maître. Jean Sans Peur se taille également quelques parts dans la région normande et, surtout, s’empare de Paris dans la nuit du 28 au 29 mai 1418.

Le dauphin Charles, futur Charles VII, est contraint de fuir et s’installe à Bourges. Jean Sans Peur contrôle alors le royaume et par la même le couple royal. Le dauphin essaye de négocier avec le puissant duc de Bourgogne, avec le projet secret de s’en débarrasser. Le 10 septembre 1419, une entrevue est fixée à Montereau en Seine-et-Marne. Jean Sans Peur tombe dans un guet-apens et est assassiné par des troupes du dauphin. Stratagème réussi mais coup de force politique dangereux. Ne digérant pas l’acte de Charles, les Bourguignons, rassemblés autour du nouveau duc Philippe le Bon, se rangent du côtés des Anglais de Henri V.

Assassinat de Jean Sans Peur
Assassinat de Jean Sans Peur à Montereau

Plus puissant que jamais, le roi d’Angleterre va alors passer à l’action. En octobre 1419, il reçoit des envoyés du nouveau duc de Bourgogne et leur dévoile ses volontés : devenir héritier du royaume de France après la mort de Charles VI, être régent durant son vivant, et épouser la fille du roi, Catherine. La position de Philippe est assez délicate. Il ne souhaite pas trahir le roi de France dont il est le vassal et souhaite encore moins voir un roi anglais s’emparer du trône. Néanmoins, se ranger du côté du roi signifierait reconnaître le dauphin Charles, assassin de son père, comme héritier légitime du royaume. Et ça pour Philippe, c’est également inconcevable. Le duc a le choix entre la peste et le choléra. À contre coeur, il soutiendra Henri V, par honneur pour son père.

Le traité de Troyes : contenu et conséquences

Le 24 décembre 1419, Philippe le Bon et Henri V concluent une alliance. Le royaume de France court doucement à sa perte. La reine de France est contrainte d’accepter les conditions du futur traité. En mai 1420, Henri V arrive dans la ville de Troyes, prêt à signer un traité historique, glorifiant d’un côté, dramatique de l’ autre. Après quelques âpres discussions avec le duc et la reine de France, le traité est signé le 21 mai 1420, dans la cathédrale de Troyes.

Le traité de Troyes est relativement clair et limpide, ne laissant que peu de place à l’interprétation. En signant le traité, Charles VI offre la main de sa fille au roi d’Angleterre et fait de lui son héritier directe et légitime. Le dauphin Charles est par la même occasion déshérité en raison du crime de Montereau. Jusqu’à la mort de Charles VI, Henri assurera la régence, le roi de France n’étant pas en mesure de régner. À la mort de Henri V, ce seront ses descendants qui se transmettront la couronne de France, puisqu’ils en seront désormais les souverains. Le traité ne provoque pas tant de secousses que cela dans la société française, a fortiori à Paris. À vrai dire, les sujets parisiens semblent être assez indifférents au fait que la couronne passe entre les mains des Anglais. Le quotidien ne change pas vraiment et les institutions restent en place.

La France en 1420
Le royaume de France au moment du traité de Troyes

Le traité est cependant assez compliqué à mettre en place et Henri V ne va pas tarder à rencontrer de grandes difficultés. Bien que le dauphin soit déshérité, il contrôle une très large partie du royaume et semble, de ce point du vue, plus puissant. Ses moyens financiers et militaires sont bien plus importants. Henri V en est conscient et se lance alors dans des conquêtes militaires pour gagner du territoire. Première cible, Montereau, en guise de symbole. Après un siège assez intense, la ville tombe le 1er juillet 1420. Le corps de Jean Sans Peur est récupéré et envoyé à Dijon, capitale du duché de Bourgogne. Le 17 novembre, Melun est prise. La suite des évènements va être assez compliqué pour Henri V. Il doit retourner en Angleterre, où ses sujets commencent à s’inquiéter d’être délaissés au profit du royaume de France nouvellement acquis. Pendant ce temps, le dauphin Charles ne rend pas les armes et livre une résistance féroce au roi d’Angleterre. Pourtant banni du royaume et déshérité, Charles est bien déterminé à chasser ce roi usurpateur du trône.

Après le traité de Troyes : le hasard biologique puis la reconquête

L’année 1422 marque un tournant majeure, à la fois dans le récit des évènements qui suivent le traité, mais aussi dans le cadre plus général de la guerre de Cent Ans. Le 31 août, contre toute attente, Henri V meurt. La surprise est totale, puisque l’on voyait mal ce jeune roi vigoureux mourir avant Charles VI, fou et relativement âgé. Toujours est-il qu’un tel scénario n’avait pas vraiment été imaginé lors de la signature du traité de Troyes. On pourrait se dire que les clauses du traité soient ainsi caduques. Non, pas vraiment. On pourrait imaginer que la succession des Valois reprennent ainsi normalement. Non plus. Tout se passe dans une relative indifférence. Henri VI, fils du défunt roi d’Angleterre, est destiné à prendre les rênes du royaume de France à la mort de Charles VI. Seul bémol, il n’a que neuf mois. C’est alors l’un des frères du roi, Jean, duc de Bedford, qui assurera la régence. Le 21 octobre 1422, ce qui devait arriver arriva : Charles VI rend à son tour son dernier souffle. La France est désormais anglaise, aux mains du régent de Bedford.

Malgré tout, Charles, toujours réfugié à Bourges, continue de résister face à l’adversaire anglais. Les incursions armagnacs en territoire contrôlé par les anglais sont de plus en plus fréquentes et le duc de Bedford n’a clairement pas les moyens de lutter contre ces provocations. L’espionnage, notamment à Paris, inquiète grandement le régent, qui, malgré son imposante stature et sa confiance inébranlable, semble bien fragile. Pour renforcer sa position, le régent va se rapprocher du duc de Bourgogne, qu’il sait être le personnage le plus important de toute cette affaire. En décembre 1422, le duc de Bedford épouse la soeur de Philippe de Bon, Anne, synonyme d’un rapprochement entre les deux hommes. À cette alliance se ralliera ensuite le duc de Bretagne, Jean V.

Charles VII, que l’on peut appeler ainsi malgré qu’il ne soit pas sacré, est le véritable ennemi de Jean de Bedford. Celui que l’on surnomme « le roi de Bourges » prétend avoir des droits sur le royaume qui lui avait été pourtant retirés depuis le traité de Troyes. Il contrôle quasiment tout le sud de la France actuelle, autrement dit la majeure partie du royaume. Il est un personnage mystérieux, inquiet, solitaire et introverti. Charles préfère, et espère, négocier plutôt que faire la guerre, bien qu’il ait, sur le papier, un avantage net.

Surtout, Charles VII a un autre atout, qu’il ignore encore. Face à l’occupation anglaise, un sentiment national est en train de naître dans les rangs armagnacs, un fervent patriotisme teinté de la volonté de chasser les Anglais d’une terre qui n’est pas la leur. Une identité française franchement délimitée s’oppose à la culture anglaise. Tout au long de sa reconquête du royaume, Charles VII et ses hommes seront animés de ce sentiment patriotique, de ce sursaut national, après des années de mollesse face à l’ennemi anglais. Plusieurs années après le traité de Troyes, en 1429, la reconquête du royaume est lancée à vive allure, dans le but de « bouter les Anglais hors de France », selon les mots de l’artisane de ce sursaut national, Jeanne d’Arc.

Charles VII
Charles VII

Conclusion

Le traité de Troyes, ce « honteux traité » disait-on, est un moment majeur de l’histoire de France. Par ce traité, Charles VI remet les clefs du royaume entre les mains du roi d’Angleterre Henri V. Situation aussi inédite que dramatique. Le traité de Troyes ponctue une longue période de déclin du royaume de France dans le cadre de la guerre de Cent Ans, un déclin qui ne pouvait durer éternellement. Avec du recul, nous pouvons considérer que les terribles conséquences du traité ont, entre autres, permis l’émergence d’un sentiment national, d’une identité française naissante face au royaume d’Angleterre, ou du moins des prémices d’un tel phénomène. La suite est celle de la reprise en mains du royaume par Charles VII, officiellement sacré en juillet 1429 en la cathédrale de Reims grâce à l’ambitieuse Jeanne d’Arc, qui deviendra la bête noire des Anglais.

Le traité de Troyes : moments forts

1380 : Charles VI est sacré roi de France.
1413 : Arrivée de Henri V sur le trône d’Angleterre.
1415 : Bataille d’Azincourt et défaite française.
28-29 mai 1418 : Le duc de Bourgogne Jean Sans Peur s’empare de Paris.
Septembre 1419 : Assassinat du duc de Bourgogne à Montereau, orchestré par le dauphin Charles.
24 décembre 1419 : Alliance entre Philippe le Bon, duc de Bourgogne, et Henri V d’Angleterre.
21 mai 1420 : Signature du traité de Troyes.
31 août 1422 : Mort du roi Henri V
21 octobre 1422 : Mort du roi Charles VI. 

Pour en savoir plus sur le traité de Troyes

  • Schnerb, Bertrand, Armagancs et Bourguignons, la maudite guerre, Tempus Perrin, 2009
  • Minois, Georges, La guerre de Cent Ans, Tempus Perrin, 2016
  • Bove, Boris, 1328-1453, le temps de la guerre de Cent Ans, Folio Histoire, 2020
  • Le traité de Troyes, (2022), dans Wikipédia
  • Le honteux traité de Troyes, dans Troyes Champagne Tourisme
  • Le traité de Troyes, dans Hérodote.net

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