Mémorial national de la prison de Montluc
Le Mémorial national de la prison de Montluc est un lieu de mémoire situé à Lyon. La prison, qui fut érigée en 1921, est restée dans l’Histoire pour les milliers de détenus, majoritairement résistants, qui y ont été internés durant l’occupation allemande. Quelques grands noms de la Résistance y ont connu l’horreur, comme Jean Moulin, Marc Bloch ou encore André Frossard. Le mémorial organise des visites thématiques sur des résistants passés par la prison. Récemment, j’ai eu l’opportunité de faire la visite thématique “Marc Bloch, un historien dans la Résistance”. C’est ce dont nous allons parler dans cet article. Bonne lecture !
Sommaire
ToggleHistoire de la prison de Montluc
1921-1932 : une prison militaire
Initialement prévue pour 1914, la prison de Montluc voit le jour en 1921. Dès ses débuts, la prison est d’ordre militaire et constitue, avec le tribunal militaire qui la jouxte, le centre judiciaire du sud-est de la France. La prison devient civile à partir de 1926, du fait de la diminution des prisonniers militaires dans les années 1920. Cependant, la trajectoire est la même pour le nombre de prisonniers civils. La prison ferme ses portes en 1932.
1939-1940 : le temps de la Seconde Guerre mondiale
En 1939, la prison de Montluc rouvre ses portes, du fait du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Arrivent alors dans la prison lyonnaise les premiers individus victimes de l’état de siège décrété suite au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Tout individu pouvant mettre en péril cet état de siège est susceptible d’être incarcéré. De même, on retrouve quelques militants communistes considérés comme une menace suite à la signature du pacte de non-agression germano-soviétique. À cette époque, il faut bien avoir en tête que la plupart des partis communistes européens suivent les directives de Moscou. En France, un bon tiers du parti soutient le pacte signé entre Staline et Hitler. Par conséquent, le parti est dissous en septembre 1939 par le gouvernement Daladier.
1940-1943 : une prison au service du gouvernement de Vichy
Le 10 mai 1940, les Allemands, forts de leur armée et de leurs panzers, percent la ligne maginot à Sedan et infligent aux Français l’une des plus grandes défaites de leur histoire. Une défaite que traitera l’historien Marc Bloch dans son ouvrage L’étrange défaite. Le 22 juin 1940, Philippe Pétain demande la signature de l’armistice à l’Allemagne nazie. Le 11 juillet de la même année, il forme un nouveau gouvernement à Vichy et obtient les pleins pouvoirs. La France plonge alors dans la sombre période de l’Occupation, mais aussi de la collaboration. La prison de Montluc devient alors un instrument politique majeur pour le nouveau gouvernement en place. En plus des détenus qui y étaient déjà incarcérés, des opposants politiques, des anarchistes ou encore quelques résistants sont arrêtés et enfermés à la prison de Montluc.
Rapidement, les effectifs de la prison grossissent. On compte plus de 300 prisonniers alors que la prison a une capacité de 127 détenus. Les conditions de détention se détériorent, mais sont encore loin de ce qu’elles vont être sous le commandement nazi. À cette époque, on compte quelques grands noms parmi les prisonniers comme le général Jean de Lattre de Tassigny, arrêté pour avoir refusé de s’incliner devant l’invasion allemande.
1943-1944 : la sombre période allemande
Le 8 novembre 1942, un débarquement anglo-américain a lieu en Afrique du Nord. Préoccupé par les manœuvres alliées, l’état-major allemand donne l’ordre d’envahir la zone sud pour bloquer un potentiel débarquement allié sur les côtés de la Méditerranée depuis l’Afrique. Le 17 février 1943 est une date qui restera marquée à jamais dans l’histoire de la prison de Montluc. Ce jour-là, les Allemands réquisitionnent intégralement la prison de Montluc, qui passe officiellement du côté allemand. Les prisonniers du gouvernement de Vichy sont transférés dans d’autres prisons. Les premiers résistants arrêtés affluent en masse à la prison de Montluc. La prison passe sous le commandement de la Gestapo, la police politique allemande, et sous les ordres de son chef pour la région lyonnaise, Klaus Barbie. Des juifs et des résistants sont alors entassés dans la prison, avant de connaître leur sort : exécution immédiate ou transfert dans des camps de concentration ou d’extermination allemands.
Les conditions de vie sont horribles et inhumaines. Les détenus sont parfois placés par 10 dans des cellules de 2 mètres sur 2. Ils n’ont le droit qu’à 10 minutes de promenade par jour. Ils doivent faire leurs besoins dans le même sceau, appelé tinette, qui dégageait des odeurs nauséabondes. Une fois enfermés à la prison de Montluc, les détenus savaient qu’ils n’avaient aucune chance de revoir leur famille. Les repas se font de plus en plus rares. La toilette disparaît rapidement et les insectes prolifèrent dans la prison. Lorsqu’ils ne sont pas dans leur cellule, les détenus subissent les interrogatoires musclés et la torture des hommes de la Gestapo. La prison de Montluc devient alors un lieu majeur dans le processus de déshumanisation voulu par les Nazis et dans l’expression physique de l’idéologie d’Hitler.
La prison de Montluc est également restée dans l’Histoire pour certains des détenus qui y ont été enfermés. Parmi ces derniers, Jean Moulin est sans doute le plus connu. Arrêté le 21 juin à Caluire, le célèbre résistant y passera un peu plus d’une semaine, avant d’être transféré. À la prison de Montluc, il est interrogé et torturé par les hommes de la Gestapo, et surtout, par Klaus Barbie.
Découvrez notre podcast sur les mystères de l'arrestation de Jean Moulin !
Tout au long de l’année 1943, la prison de Montluc voit arriver de plus en plus de détenus. Alors, les Allemands aménagent différents endroits de la prison, non prévus à cet effet, pour enfermer les prisonniers. Le réfectoire, les toilettes ou encore les douches deviennent des lieux d’enfermement. Les Allemands font même construire une baraque dans la cour intérieure, où sont majoritairement placés des juifs. Cet endroit de la prison conservera le nom de “baraque à juifs”. Si elle n’existe plus aujourd’hui, une plaque commémorative a été placée à l’endroit où la baraque se trouvait.
Au total, ce sont près de 10 000 détenus qui ont connu l’enfer de la prison de Montluc sous le contrôle de la Gestapo entre le 17 février 1943 et le 24 août 1944, date de la libération de la prison. Près de 60% des détenus sont transférés dans des camps allemands et environ 10% sont fusillés dans la région lyonnaise. Les villes de Bron ou de Saint-Genis Laval ont été parmi les plus marquées par les exécutions sommaires orchestrées par les Allemands. Le 20 août 1944, 120 détenus de la prison de Montluc sont exécutés à Saint-Genis-Laval. À Bron, 109 trouvent la mort les 17, 18 et 21 août 1944.
Dans le même temps, les Alliés progressent en Europe et dans le Pacifique. Ils reprennent le contrôle de la guerre et commencent à infliger de lourdes défaites à l’armée allemande. Le 6 juin 1944, les Alliés débarquent en Normandie et libèrent progressivement la France. Le 15 août 1944, le débarquement de Provence permet aux Alliés, majoritairement des Français et des soldats des colonies, de libérer le sud et de faire la jonction avec les américains. Fin août 1944, l’Allemagne est au bord de l’effondrement. Le 23, Paris est libérée. Le lendemain, des résistants accompagnés par des membres de la Croix-Rouge et par des religieux, libèrent la prison de Montluc et ses 900 prisonniers qui y étaient enfermés.
1944-1947 : la libération puis l’après-guerre
Le 24 août 1944, la prison est libérée et les Allemands sont chassés du lieu où ils ont enfermé et torturé des milliers d’individus, majoritairement résistants. Les victoires alliées et l’échec allemand lors de la bataille des Ardennes scellent le sort de l’Allemagne nazie. Après la sombre période d’occupation allemande, la prison accueille alors des criminels de guerre et des collaborateurs, dans le cadre de la politique d’épuration voulue par les Alliés. Près de 900 personnes sont internées à la fin de l’année 1944, en attente de leur jugement.
1947-1962 : une prison civile au coeur de la guerre d’Algérie
Au lendemain de la guerre, la prison de Montluc redevient une prison civile, en vertu d’un décret du 25 octobre 1947 qui interdit les prisons militaires en métropole. À partir de 1955, tous les individus condamnés à mort, dans le cadre de l’application de la peine de mort, sont transférés à la prison lyonnaise. Entre 1955 et 1966, 5 prisonniers de droit commun sont guillotinés dans la prison de Montluc.
En 1958 a lieu un attentat perpétré par le Front de Libération National (FLN) sur le territoire métropolitain, dans le contexte de la guerre d’Algérie. À partir de ce moment-là, Montluc devient le centre de détention des membres du FLN arrêtés en métropole. Au total, 11 d’entre eux seront guillotinés à la prison de Montluc.
1962-2009 : une prison civile
À l’issue de la guerre d’Algérie, Montluc devient une prison plutôt tranquille. On y trouve des témoins de Jéhovah, des objecteurs de conscience ou encore des délinquants qu’il était nécessaire d’écarter des autres grands établissements pénitentiaires. En février 1983, un événement hautement symbolique replonge la France dans le terrible souvenir de l’occupation allemande. Klaus Barbie fait un tour par la prison de Montluc après des décennies de cavale en Bolivie. Lorsqu’il arrive à la prison, un cliché de l’homme dans sa cellule est pris, aujourd’hui exposé là où il a enfermé et torturé des milliers d’individus 40 ans plus tôt. En 1997, l’aile de la prison réservée aux hommes ferme et Montluc devient une prison pour femmes.
2009-Aujourd’hui : un mémorial, symbole d’une lourde histoire
En 2009, la prison ferme définitivement ses portes, après quasi un siècle d’existence. Cependant, la prison est menacée de destruction. L’Association des Rescapés de Montluc et l’Association des Fils et Filles des Déportés Juifs de France, soutenues par des représentants locaux des pouvoirs publics, se battent corps et âme pour conserver la prison intacte. Grâce à leur action, la prison devient la propriété du Ministère des Armées. En 2010, la prison devient le Mémorial national de la prison de Montluc, accessible au public.
Qui est Marc Bloch ?
Marc Bloch est un historien du XXe siècle, mais il a été également résistant durant la Seconde Guerre mondiale, avant d’être enfermé à la prison de Montluc. Marc Bloch est né le 6 juillet 1886 à Lyon et grandit dans une famille juive. Il entreprend de brillantes études à Paris, avant d’être agrégé d’Histoire en 1908, à seulement 22 ans. Sa carrière d’historien est interrompue par le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Marc Bloch est mobilisé et opère comme sergent d’infanterie. Après la guerre, il donne des cours à l’université de Strasbourg, ville qui est alors redevenue française. Là-haut, il rencontre quelques historiens de renom comme Lucien Febvre, avec qui il noue une amitié particulière.
En parallèle, il commence à se faire connaître pour ses travaux en tant qu’historien. En 1929, il fonde, avec Lucien Febvre, les Annales d’histoire économique et sociale, une importante revue d’Histoire. En 1936, il est nommé professeur de chaire à la Sorbonne, en quelque sorte une consécration pour l’historien. Seulement, 3 ans plus tard, la guerre sévit à nouveau en Europe et ses projets vont être bouleversés, encore une fois. Marc Bloch est mobilisé et participe notamment à l’évacuation de Dunkerque en 1940. Dans le même temps, l’historien est très attentif à l’effondrement de la troisième république, marqué par la défaite de 1940, qui voit les Allemands arriver à Paris en moins de deux mois seulement. Il fait preuve d’un vrai esprit critique vis-à-vis de la situation en France, tant sur le plan politique que sur le plan militaire. Il nourrit de profondes réflexions sur l’origine de cette débâcle sans précédent. Il écrit alors un ouvrage intitulé L’étrange défaite, publié à titre posthume. Il demande ensuite sa mutation à Montpellier, auprès de sa femme qui est malade.
En 1943, lorsque les Allemands se rendent maîtres de quasiment toute la zone sud, Marc Bloch franchit le pas et s’engage dans la Résistance. Sa religion juive n’est pas la principale raison de son engagement. Marc Bloch s’est davantage engagé par patriotisme et pour son attachement aux valeurs de la République. Il rejoint rapidement le mouvement Franc-Tireurs, l’un des principaux mouvements de la Résistance avec Libération-Sud et Combat. Seulement, le 8 mars 1944, l’historien devenu résistant est arrêté à Lyon par la Gestapo et est enfermé à la prison de Montluc. Le 16 juin 1944, il est extrait de sa cellule puis est emmené avec 29 autres de ses camarades à Saint-Didier de Formans pour y être fusillé.
Visite guidée sur les traces de l’historien et résistant Marc Bloch
Chaque premier samedi du mois, de février à juin 2023, le Mémorial national de la prison de Montluc organise une visite guidée sur la thématique “March Bloch, un historien dans la Résistance”. Cette visite guidée a pour but de plonger les visiteurs dans l’histoire de la prison de Montluc en suivant le parcours de Marc Bloch, historien du XXe siècle, qui fut enfermé à la prison lorsqu’elle était sous le contrôle de la Gestapo, durant la Seconde Guerre mondiale. Cette visite est accompagnée d’un podcast immersif au cœur de la vie de Marc Bloch dans sa cellule à Montluc.
Marc Bloch ou plutôt Maurice Blanchard. C’est le nom avec lequel s’identifie l’historien, pour cacher sa véritable identité. En effet, il arrivait que des faux prisonniers soient envoyés en prison par les Allemands pour soutirer des informations précieuses. On appelle ces individus les “moutons”. Il valait donc mieux ne pas révéler son identité et son passé. Les témoignages et les archives ont permis de reconstituer avec la meilleure précision possible le quotidien de l’historien, mais aussi des autres détenus à la prison de Montluc. Le podcast nous plonge dans quelques anecdotes concernant la vie de Marc Bloch à la prison de Montluc. Par exemple, les témoignages suggèrent que Marc Bloch donnait des cours d’Histoire aux autres camarades de sa cellule.
Au cours de cette visite, on y découvre la prison sous tous ses angles. On y découvre les cellules, les couloirs ou encore le réfectoire, des lieux encore marqués par leur histoire. Les archives et les travaux des historiens ont permis d’identifier la cellule de nombreux détenus. Par exemple, Marc Bloch était dans la cellule 75. Jean Moulin était un étage au-dessus, dans la cellule 130.
La visite se termine par la cellule dans laquelle fut enfermé Klaus Barbie en 1983, le boucher de Lyon, qui tortura plus d’une personne dans ses murs. La fin de la visite peut sembler bouleversante, mais elle résonne comme un symbole de justice en la mémoire des milliers d’individus qui ont connu l’enfer de la prison de Montluc sous l’occupation allemande. Même si Klaus Barbie ne fut pas jugé pour crime contre l’humanité car ses crimes dataient de plus de 20 ans, son retour à Montluc fut un signe très fort pour de nombreux rescapés et vétérans de la Seconde Guerre mondiale.
André Devigny : le témoignage en or
André Devigny est un résistant passé par la prison de Montluc. Cependant, son histoire est bien singulière et a permis d’éclairer celle de ses camarades. André Devigny est tout simplement le seul détenu de la prison de Montluc sous l’occupation allemande à s’être évadé. André Devigny est arrêté en gare d’Annemasse le 17 avril 1943 par la Gestapo. Il est immédiatement transféré à la prison de Montluc. Au sein de la prison, il parvient à entrer en contact avec des détenus politiques pour faire passer des lettres en dehors de la prison, à sa famille et à son réseau de résistants. À cette époque, il était encore possible de recevoir et d’envoyer des lettres et des colis, avant que la Gestapo ne coupe tout contact avec le monde extérieur. André Devigny est placé au dernier étage de la prison, dans la cellule 107, au fond du couloir. Grâce à sa cuillère, des vêtements reçus par colis et le fer des ressorts de son sommier, il parvient à établir un plan d’évasion en quelques semaines. Les choses vont s’accélérer quand André Devigny est officiellement condamné à mort le 20 août 1943.
Dans la nuit du 24 au 25 août 1943, il s’échappe avec son co-détenu. Néanmoins, les deux hommes sont arrêtés peu de temps après en bordure du Rhône. André Devigny parvient à fuir en se cachant dans le fleuve. Il y passe plus de 5 heures. Il parvient ensuite à rejoindre la Suisse. Enfin, il regagne plusieurs semaines après la 1ère armée du général De Lattre à Alger et participe à la libération de la France en 1944 en débarquant en Provence. Après la guerre, André Devigny fournit des témoignages cruciaux sur ce qu’il a vécu à la prison de Montluc, ce qui a permis de reconstituer au mieux la vie des détenus à la prison.
Retour d’expérience sur la visite à la prison de Montluc
La visite de la prison de Montluc sur les pas de Marc Bloch fut poignante et lourde de mémoire et d’Histoire. Les murs de la prison transpirent encore l’horreur de ce que des milliers d’individus ont vécu dans la prison sous le joug allemand. Le lieu n’est pas un musée. C’est un lieu de mémoire qui a été quasiment conservé en l’état, ce qui nous permet de pleinement ressentir le poids de l’Histoire et d’imaginer le quotidien des détenus, même si cela échappe largement à l’entendement humain. Le Mémorial de la prison de Montluc est un lieu incontournable de l’Histoire de Lyon, mais aussi de la France entière. Le Mémorial conserve la mémoire de la Seconde Guerre mondiale entre ses murs et permet de se rendre compte, ne serait-ce qu’un peu, de l’horreur et de l’atrocité de la guerre.