La révolution industrielle
En 1769, le britannique James Watt accouche d’une invention qui révolutionnera l’industrie européenne : la machine à vapeur. Cet épisode est le marqueur d’une révolution industrielle naissante en Angleterre, qui ne tardera pas à s’exporter sur le continent. Seulement, la machine à vapeur n’est qu’une invention parmi d’autres et toutes les inventions ne sont que des éléments d’une gigantesque transformation des sociétés, d’une révolution qui bouleversera le monde. La révolution industrielle est bien plus qu’une simple succession d’innovations techniques. Tous les cadres changent. C’est une nouvelle société qui émerge, largement permise par des progrès techniques hors normes.
Les économies européennes connaissent des périodes de croissance jamais vues, le quotidien des travailleurs change, les entreprises entrent en mutation. La révolution industrielle est une période majeure de notre histoire car elle permet le développement, sans en être la seule cause, de nouveaux courants de pensée. N’est-ce pas au XIXe siècle que naissent libéralisme et socialisme ? Mais pas si vite ! Revenons un peu en arrière et partons à la découverte de la révolution industrielle… à toute vapeur !
Sommaire
ToggleLes origines de la révolution industrielle
D’abord, lorsque l’on parle de révolution industrielle, il faut d’ores et déjà avoir en tête qu’il ne s’agit pas vraiment d’une révolution. C’est davantage un processus de longue durée, qui se n’est pas déclenché en même temps partout et qui ne s’est pas manifesté de la même manière selon les pays. La révolution industrielle n’est pas un phénomène sorti de nulle part. Elle se forme et se déploie dans un contexte bien précis qu’il est important de rappeler. Le XIXe siècle voit l’Europe opérer une transition démographique assez importante. Les progrès sanitaires et alimentaires entraînent une baisse importante de la mortalité. Les hommes deviennent plus nombreux, au point de menacer la stabilité des ressources. Face à cette situation, des innovations vont apparaître dans le monde agricole.
Dans son ouvrage Mythes et paradoxes de l’histoire économique, l’historien et économiste Paul Bairoch considère que les progrès dans l’agriculture ont été une condition préalable à la révolution industrielle. Par exemple, la mécanisation progressive de l’agriculture aurait, dans ce cadre, favorisé la révolution industrielle. Seulement, il faut noter que cette thèse est assez contestable et certains historiens préfèrent voir la révolution agricole comme un phénomène parallèle à la révolution industrielle. Si l’on veut essayer de comprendre le cadre dans lequel a émergé la révolution industrielle, il faut sans doute se référer à l’ouvrage de Raymond Aron, intitulé 18 leçons sur la société industrielle. Dans son ouvrage, il explique que les facteurs qui ont engendré la révolution industrielle sont majoritairement d’ordre qualitatifs. L’esprit de science, la rationalité économique, le développement des mathématiques ou encore l’esprit d’entreprendre sont autant d’éléments qui ont permis des progrès techniques et technologiques. Les mentalités étaient favorables.
En fait, si l’on prend du recul, on se rend compte que l’Europe pré-industrielle est une Europe pleine : pleine intellectuellement et pleine de main-d’oeuvre. La révolution industrielle apparaît comme la conséquence logique d’une évolution sociale, économique, politique ou encore technique. D’ailleurs, on considère qu’il n’y a pas une, mais deux révolutions industrielles. La distinction est un peu floue et surtout, il n’y pas de rupture entre les deux, mais simplement un saut technique important. À la fin du XXe siècle, on parlera même d’une troisième révolution industrielle.
Les débuts de la révolution industrielle
La révolution industrielle n’apparaît pas au même moment dans toute l’Europe. Elle est précoce en Angleterre où les premières inventions datent du XVIIIe siècle. En France, elle prend véritablement forme au début du XIXe siècle. C’est donc de l’autre côté de la Manche que tout commence. Avant de louer les prouesses des engins à vapeur, parlons du coton. L’industrie du coton est la première concernée par les progrès techniques. En cause, une demande en constante hausse.
En 1733, John Kay met sur pied la navette volante. Alors la navette volante c’est quoi ? Avant, un ouvrier ne pouvait pas tisser des textiles plus larges que son envergure, car il fallait passer la navette, qui déroule le fil, d’un bord à un autre. Ou alors il fallait être plusieurs. Mais John Kay invente une navette sur roulette placée sur une glissière. Ainsi, l’ouvrier peut la lancer d’un bout à l’autre et peut tisser des textiles bien plus larges. Puis les inventions s’enchaînent ! En 1763, James Hargreaves invente la « spinning jenny », une machine permettant de tisser plusieurs fils à la fois. En 1779, Samuel Crompton invente la « mule jenny », qui peut fonctionner à l’eau et qui permet de tisser des centaines de fils à la fois. L’industrie du coton anglais s’emballe et connaît une croissance sans précédent. Le tout, en employant de plus en plus de travailleurs. Entre 1781 et 1800, on estime que les exportations anglaises de coton ont été multipliées par 5.
La révolution industrielle : accélération et transformation du monde
En parallèle, les autres secteurs suivent le rythme. Dans l’énergie, la vapeur connaît un succès fou. En 1769, James Watt invente la bien connue machine à vapeur, qui améliore et détrône tous les précédents engins à vapeur. En créant une force motrice artificielle indépendante du milieu, cette machine révolutionne l’industrie et permet d’améliorer considérablement la production. Le développement de la vapeur a permis, entre autres, la naissance des chemins de fer. Le XIXe siècle voit se développer des milliers de km de rails en Europe, sur lesquels roulent des locomotives à vapeur. En 1825, la première ligne au monde voit le jour dans le nord-est de l’Angleterre. Longue d’environ 40km, elle est la première ligne à transporter des voyageurs. Seulement 2 ans plus tard, Andrézieux et Saint-Étienne sont reliés par les rails en France. Le développement croissant des chemins de fer propose de nombreux débouchés à la sidérurgie et entraîne ainsi le développement d’une autre industrie. Le XIXe siècle est celui d’un véritable boom de la production ferroviaire. En 1850, on comptait environ 38 000 km de chemins de fer dans le monde. 30 ans plus tard, en 1880, on en compte quasiment 10 fois plus.
La seconde révolution industrielle marque un saut qualitatif majeur dans le processus d’innovation. On peut presque parler d’innovations technologiques. Cette seconde révolution industrielle se fonde sur des inventions dans de nouveaux secteurs. Thomas Edison révolutionne l’utilisation de l’électricité avec son invention de l’ampoule à incandescence. Cette « fée électricité » comme on dit, va devenir la base d’un nouveau système de production. Le pétrole permet l’émergence du moteur à explosion et favorise ainsi le développement de l’automobile. La chimie prend également une place très importante. Bref, vous l’avez compris, les révolutions industrielles ont bouleversé les XVIIIe et XIXe siècles. Elles ne touchent pas les pays au même moment. En Angleterre, comme nous l’avons dit, le processus débute au XVIIIe siècle. En France, il s’installe au début du XIXe siècle. En Allemagne, le processus est plus tardif, dans la seconde moitié du XIXe. Notez que les États-Unis sont également marqués par la révolution industrielle. Mais surtout, et c’est sans doute le plus intéressant, les révolutions industrielles ont profondément transformé les sociétés. Les modes de pensées, les paradigmes, le quotidien, le rapport au temps, tout change. Alors tentons d’y voir plus clair sur cette nouvelle société qui émerge.
Une révolution industrielle puis une changement des sociétés
Bien entendu, ces sociétés européennes s’industrialisent à marche forcée. En Grande-Bretagne, la part de l’industrie dans la production matérielle passe de 42% en 1801 à 73% en 1871. En France, on connaît également une industrialisation importante, toutefois moindre qu’en Angleterre. L’industrialisation a pour conséquence le développement de l’urbanisation. Les villes se développent autour de complexes industriels dynamiques. C’est une nouvelle vie qui semble se profiler. Dans ce contexte de mutations, le paysage social des pays européens est également remanié. L’apparition de la classe ouvrière bouleverse les réalités sociales et sociologiques. C’est une nouveauté pour l’époque. Pourtant, même si l’on parle de classe, le monde ouvrier est assez hétérogène, selon le niveau de qualification, l’industrie ou encore le lieu de travail.
De véritables réflexions vont se développer sur ce que le philosophe Karl Marx appelle la « conscience de classe ». Les ouvriers vont devenir un corps social puissant au sein des entreprises, mais aussi au sein de la société. Ils vont notamment permettre des avancées législatives majeures en matières de travail, comme la limitation du temps de travail ou encore le rehaussement de l’âge minimum pour travailler à la mine. Le monde ouvrier devient un monde à part entière, avec ses codes, ses coutumes et son mode de vie. Le bleu de travail est rapidement adopté. Les ouvriers vivent bien souvent proches de leur lieu de travail. On passe d’un monde ouvert avec l’agriculture à un monde fermé, centré autour des usines. Socialement et sociologiquement, le changement est immense.
En termes de production, les révolutions industrielles vont accoucher de profondes mutations. Dans le dernier tiers du XIXe siècle, un ingénieur américain du nom de Frederick Winslow Taylor imagine un tout nouveau mode de production, fondé sur une organisation scientifique du travail. Il met sur pied ses théories dans un contexte où l’industrialisation apparaît désordonnée et parfois brouillonne. Alors, il prône une organisation du travail en deux axes. Le premier, vertical, désigne la division du travail selon la fonction et le poste dans l’entreprise. En gros, séparer le travail des ingénieurs de celui des ouvriers. Le second, horizontal, propose de diviser la production en une multitude de petites tâches confiées chacune à un seul ouvrier. Le but de cette double orrganisation est d’aller plus vite et d’être plus efficace. C’est ce qu’on appelle le taylorisme.
Après Taylor, un certain Henri Ford mettra sur pied une nouvelle théorie, grossièrement assimilée au travail à la chaîne, dans son entreprise d’automobiles. Quoiqu’il en soit, ces réflexions sur le mode de production sont symptomatiques du nouveau monde dans lequel l’Europe est projeté. Un monde dicté par la vitesse, le rendement et l’efficacité. Pour les pays européens, c’est une nouveauté absolue. L’Europe découvre aussi une donnée toute nouvelle : la croissance économique. En réalité, elle n’est pas nouvelle, mais la forme qu’elle prend au XIXe siècle est, elle, tout à fait inédite. En fait, l’idée de croissance n’avait jamais vraiment été pensée. Ça n’a jamais été un but. Avec la révolution industrielle, les économies européennes goûtent à la croissance, aussi addictive que dangereuse.
La révolution industrielle : conclusion
Comme nous l’avons dit, la révolution industrielle bouleverse les modes de pensée. Elle devient un terreau fertile pour des réflexions philosophiques, politiques, voire idéologiques. Naturellement, certaines s’opposent, ayant chacune leur base de partisans. Vous vous en doutez sûrement, mais la révolution industrielle va faire émerger deux sociétés, deux courants philosophiques qui vont se faire face : le libéralisme et le socialisme. En cela, le XIXe siècle sera très fécond pour la pensée humaine. Mais ça, c’est une autre histoire.
La révolution industrielle : moments forts
1733 : John Kay invente la navette volante.
1763 : James Hargreaves invente la « spinning jenny ».
1769 : James Watt invente la machine à vapeur.
1825 : La première ligne de chemin de fer au monde voit le jour.
1839 : Invention de la photographie.
1858 : Premier forage pétrolier.
1880 : Invention de l’électricité.
Pour en savoir plus sur la révolution industrielle
- Verley, Patrick, La Révolution industrielle, Folio, 1997
- Rioux, Jean-Pierre, La Révolution industrielle, Points, 2015
- Bairoch, Paul, Mythes et paradoxes de l’histoire économique, La Découverte, 2005
- Aron, Raymond, Dix-huit leçons sur la société industrielle, Gallimard, 1963
- La Révolution industrielle, (2022), dans Wikipédia